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Frédéric Clot, (*1973, Saint-Loup), Antichambre (ou La Grande Collection), 2011, crayon au graphite sur papier Fabriano. Musée Jenisch Vevey

 

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La Petite Bohémienne espagnole de Rembrandt

Le sujet de cette gravure est tiré de La Petite Gitane, une nouvelle de Miguel de Cervantès publié à Madrid en 1613. Rembrandt a illustré l’adaptation hollandaise de cette histoire, publiée en 1643 et jouée dans les théâtres d’Amsterdam jusqu’en 1750. Le récit était déjà connu aux Pays-Bas dès les années 1630 : le peintre Jan Lievens s’était appuyé sur une traduction française pour représenter la Gitane voyante.

 

Cervantès relate l’histoire de Preciosa, enlevée dans l’enfance par une vieille bohémienne pour l’intégrer dans sa troupe. Elle la fait passer pour sa petite-fille, lui enseigne la danse et le chant, et elles se produisent avec succès dans toute l’Espagne. La gravure représente le moment où Preciosa questionne la vieille femme sur les coutumes des Bohémiens. Les deux figures s’opposent : l’une jeune est habillée d’un noble costume, l’autre âgée, s’appuyant sur un bâton, porte des vêtements usés. Rembrandt donne ainsi une image de la transmission des savoirs anciens.

Cet exemplaire a été prêté pour l’exposition Dürer et Rembrandt - La collection Pierre Decker. Il correspond aux critères de qualité définis par le collectionneur Pierre Decker (1892-1967) : dans un très bon état de conservation, il présente un encrage aux noirs intenses, et connait des provenances prestigieuses. Une marque de collection au verso indique notamment son passage chez les princes du Liechtenstein.

 

De son vivant, Pierre Decker n’est jamais parvenu à acheter une épreuve de La Petite Bohémienne espagnole car cette estampe passe très rarement en vente. Elle figure ainsi parmi la liste d’œuvres qu’il cherche encore dans sa lettre à un destinataire inconnu en février 1967. Seule une petite quinzaine de tirages sont connus aujourd’hui. Dans l’attente de pouvoir acquérir une impression d’époque, la Commission Decker avait reçu en don une reproduction en héliogravure de Charles Amand-Durand (1831-1905), conservée à titre documentaire.

 

Suite à l’exposition Dürer et Rembrandt - La collection Pierre Decker, la Commission Decker a pu acquérir le tirage présenté à cette occasion.

 

Antichambre (ou La Grande Collection) de Frédéric Clot

Antichambre (ou La Grande Collection) fait partie d’une série de dix dessins monumentaux inspirés des découvertes que l’artiste a faites au Musée des Beaux-Arts de Lisbonne où il vivait il y a dix ans. À cette période, Frédéric Clot dessinait des forêts brésiliennes et des édifices de style manuélin emplis d’objets et de gargouilles trans-temporelles. Dans Antichambre (ou La Grande Collection), il remplace les décors originaux de l’intérieur d’un lieu de culte de style baroque en remplissant les niches, les murs ou les coupoles de figures diverses semblant provenir d’un cabinet de curiosités d’aujourd’hui, comme une forme de syncrétisme culturel. L’artiste projette des esquisses préparatoires afin d’établir une perspective et couvrir les espaces avec du graphite gras. L’œuvre impose au spectateur de rester au sein de cette architecture et de s’accommoder du  cortège de formes animales et végétales qu’elle présente avant de pouvoir traverser le dessin pour se trouver dans un ailleurs.


Frédéric Clot a conçu la pièce Antichambre (ou La Grande Collection) dans son atelier-appartement de Lisbonne et l’a terminée de retour en Suisse, dans son atelier à Épendes, la tête envahie par la multiculturalité propre à « la ville monde ».

 

(Catalogue XXL - Le dessin en grand, p. 27)

Présentée au public à l’occasion de l’exposition XXL - Le dessin en grand, ce dessin monumental a été acquis par le Musée Jenisch Vevey et est officiellement entré dans les collections en février 2022.

Sans titre d’Augustin Rebetez

"Établi à Mervelier, le village qui l’a vu grandir, Augustin Rebetez se forme à l’École de photographie de Vevey de 2005 à 2009. S’il conserve un ancrage jurassien, il enrichit très tôt sa pratique au gré de résidences et de voyages à l’étranger (Norvège, Japon, Nigeria, Russie, etc.). Lauréat du Photo Folio Review 2010, il bénéficie l’année suivante d’une exposition monographique d’envergure aux Rencontres de la photographie d’Arles, avant de se distinguer au festival Images Vevey et à la Biennale de Sydney en 2014, puis au musée Tinguely en 2016. Depuis 2020, l’artiste développe sa propre structure éditoriale, le Label Rapace, et une maison-musée qu’il envisage comme l’expression des différents pans de son activité.

La démarche d’Augustin Rebetez ne se borne pas au médium photographique ; au contraire, elle convoque de front le vocabulaire pictural, sculptural, graphique, poétique, filmique et performatif […] Aussi pléthorique soit-il, le travail d’Augustin Rebetez se caractérise par un langage aux formes élémentaires qui puise dans la banalité du quotidien : il privilégie une esthétique brute par le recours à des outils et matériaux rudimentaires glanés ici et là, tels que le bois, le carton, le fusain ou le plâtre. L’attrait de l’artiste pour les rites populaires ou ancestraux, les connexions humaines, le naturel et le spirituel nourrit un répertoire iconographique composé d’êtres curieux, de situations théâtralisées et d’objets inertes ou animés. Oiseaux, cœurs, croix et masques comptent au nombre des attributs qui donnent corps à un monde fictif aux multiples niveaux de lecture. Une fois mis en réseau, ces motifs traduisent un contraste de l’ordre de l’oxymore qui alterne premier et second degré, plein et vide, douceur et violence – dans une impulsion évoquant notamment les figures noires aux faciès masqués de Louis Soutter, Fluxus ou l’esprit de Jean Tinguely".


(Dictionnaire SIKART, Pamella Guerdat, 2022)

Ce dessin acquis par le Musée Jenisch Vevey en 2022 appartient à une série récente débutée en 2021. L’artiste recourt ici au fusain pour envahir l’espace de la feuille. Il y décline des figures masquées, tantôt bienveillantes, tantôt menaçantes, qui s’enchevêtrent les unes aux autres. Cette pièce d’une grande expressivité fait notamment écho aux dessins de Louis Soutter conservés dans les fonds veveysans : dans un geste créatif énergique, Soutter sature le support papier à l’aide de l’encre de Chine ou du graphite. 

Le secret et Masque de Françoise Pétrovitch

Artiste française devenue incontournable sur la scène contemporaine, Françoise Pétrovitch accorde une place importante aux arts graphiques dans son œuvre. Le dessin et la gravure constituent la base de ses recherches picturales et plastiques depuis les années 1990. Son univers, à la fois poétique et inquiétant, traduit la dualité de l’existence. Deux gravures de l’artiste ont rejoint les collections de la Ville de Vevey en 2022, et viennent s’ajouter au dessin au lavis Saint Sébastien (Rubens) acquis en 2019 grâce à une donation de la Fondation Lélo Fiaux.

Le secret est une aquatinte composée de grandes plages de couleurs, sur lesquelles se détachent les mains d’une femme. La gravure peut être intégrée à une série d’œuvres (peintures, dessins, céramiques, gravures) mettant au centre les gestes. Ici les mains viennent recouvrir la bouche de la figure, dont les yeux sont clos. Le cadrage est serré, et l’espace sans perspective semble être uniquement composé de l’ombre du personnage. Selon l’artiste, « les ombres, c’est devenir un autre, c’est le personnage au théâtre, c’est le fugace aussi. Une ombre n’a pas de forme : elle est issue d’une forme. Comme le masque, l’ombre dit quelque chose de celui qui le porte. »

 

Cette dualité se retrouve parfaitement dans la lithographie Masque, représentant une femme de dos tenant un masque au lieu de montrer son visage. L’artiste est parvenu à transposer la spontanéité de ses dessins aux jeux de coulure, de lavis et de transparence, dans une œuvre imprimée en trois couleurs. Maîtrisant parfaitement les médiums, elle utilise la réserve du blanc du papier pour contraster avec les formes colorées. Françoise Pétrovitch enseigne la gravure à l’école supérieure Estienne de Paris et est exposée à la Bibliothèque nationale de France (Françoise Pétrovitch, Derrière les paupières, 18.10.2022 – 29.01.2023).

Vague (I) d’Emmanuel Wüthrich

Après avoir été présentée dans l’exposition XXL – Le dessin en grand, l’œuvre d’Emmanuel Wüthrich rejoint les collections du Musée Jenisch Vevey en tissant un lien fort avec celles-ci. Dessin inaugural d’une série qui explore le mouvement de l’eau, Vague (I) consiste en une réinterprétation d’une vague peinte par Gustave Courbet – et dont le Musée Jenisch Vevey conserve une version depuis 2006. Emmanuel Wüthrich se saisit du sujet traité en investissant le registre du grand format. Il en sonde les subtilités comme la portée sémantique au moyen de 128 feuilles, pliées en forme de bateau, et tour à tour immergées dans un lavis d’encre de Chine plus ou moins diluée. Redéployé à l’image d’une mosaïque monumentale, le motif de la vague se révèle progressivement ; il prend forme dans une variation de noirs et de gris, ponctuée d’une écume blanche distinguant l’horizon, le ciel et l’eau. À la fois solennelle et puissante, la vague d’Emmanuel Wüthrich est surtout un acte de mémoire, un hommage aux vies brisées par le tumulte de la Méditerranée – Mare Nostrum, notre mer.